Tel un hôtel de charme à Bastia

Au n°4 de la rue du Commandant Bonelli, la Maison de Battisti fut érigée entre 1700 et 1710. La majestueuse cage d’escaliers donne accès à de spacieux appartements sur quatre niveaux.  D’anciennes chroniques de l’époque rapporte que la famille De Battisti étonna toute la ville en faisant construire cette somptueuse et imposante maison, qui lui coûta alors près de 30 000 lires. En 1748 le Marquis de Cursay, commandant du corps expéditionnaire français envoyé par Louis XV, y installe ses appartements privés. La maison fut ensuite occupée par le comte de Marbeuf, envoyé en Corse en décembre 1764 avec la mission d'aider les Génois à garder la souveraineté de la Corse. Il se lie d’amitié avec la famille Bonaparte et devient le parrain de Napoléon, qui lui doit sa place au collège militaire de Brienne. La veille de son départ, le 14 décembre 1778, le jeune Napoléon y passe la soirée en famille et y dort avant de quitter son île natale pour la toute première fois.  Son successeur, le Vicomte de Barin, y établit également ses appartements à partir de 1786.

La Corse devient anglaise entre 1794 et 1796. En 1794 les députés de la Consulta, présidée par Pascal Paoli, avaient voté la rupture avec la France et les articles de la constitution du nouveau Royaume de Corse. Le général de la nation corse y exposa le projet d’Union avec la Grande Bretagne. La constitution fut notamment rédigée par Charles André Pozzo di Borgo.  Sir Gilbert Elliot, le vice roi, choisit d’y établir sa résidence privée. Sa femme Lady Elliot apprécie particulièrement le lieu, elle écrit à propos de cette demeure : « notre jardin est un petit cap s’avançant dans la mer, qui l’entoure à moitié (…) Dans un pareil endroit, mon bannissement n’est pas aussi lourd pour moi qu’il ne l’était pour le coeur de Sénèque». Elle raconte également dans sa correspondance les nombreuses soirées qu’ils y donnent : « Les musiques militaires jouent dans ce jardin pendant mes réceptions et mes invités se promènent et dansent sur une terrasse qui le domine, baignée par les flots (…) Jamais je n’ai rien vu de plus beau ». C’est depuis cette époque que la maison est appelée « maison du gouvernement ».  Sur la façade la plus remarquable, donnant sur la mer, les corniches et bandeaux en stuc n’ont pas été modifiés depuis le 18ème siècle.

Au XIX siècle, la maison fut transformée en l’hôtel le plus luxueux de la ville : l’hôtel de l’Europe. Le décor de stuc fut enrichi de dorures, de glaces, de lustres, de bains à vapeur. François Tellier, le nouveau propriétaire, était un excellent cuisinier très réputé. Le jeune Gustave Flaubert eut l’occasion d’y déjeuner, ainsi que le poète Joseph Multedo et Prosper Mérimée. En 1835 la visite du Duc d’Orléans, fils ainé du roi Louis Philippe, fit la réputation de l’établissement. Dans les salons de l’hôtel, on organisait des bals durant la saison, certains si spectaculaires qu’ils défrayèrent la chronique comme en attestent des articles de la presse locale de l’époque. Au rez-de-chaussée on trouvait une grande salle de café, une salle de billard, une bibliothèque et une salle de lecture qui fut le siège d’un cercle littéraire sous le second empire, le cercle Battini, créé en 1857. A cette époque on y vit des fêtes somptueuses. L’hôtel de luxe ferma à la fin du second empire pour devenir une chambre d’hôte empreinte de charme au cœur de Bastia.